Par Samba Soumbounou
Afrikayna
/ANGLES
Approche participative pour une gestion collective du patrimoine | sensibilisation et bénévolat : Exemple de Casablanca
“Pour préserver le patrimoine d’une ville, il faut d’abord faire aimer son patrimoine”.
La notion du patrimoine est de nos jours, au cœur des préoccupations des grandes métropoles africaines. Au delà de sa définition, d’héritage et de témoin des richesses culturelles du passé, Le patrimoine permet de renouer un dialogue avec nos villes et surtout de cultiver la citoyenneté au près des différents publics.
La gestion et la préservation du patrimoine dans les villes telles que Casablanca nécessite, la mise en place d’outils et de démarches plus adaptés aux réalités des habitants et des publics.
Ainsi, Casablanca en tant que métropole et ville à la fois ancienne, laboratoire de l’architecture et l’urbanisme a connu un véritable exemple de mise en pratique d’outils de sensibilisation et de valorisation du patrimoine au près des différents publics.
Sensibilisation et valorisation du patrimoine
Pour mieux préserver le patrimoine, il faut d’abord la valoriser. C’est la démarche que nous avons essayé de mettre en place à Casablanca. Mon expérience en tant que Chef de projet au sein de l’association Casamemoire (Association pour la sauvegarde du patrimoine architectural du XXeme siècle au Maroc) m’a permis d’expérimenter certains outils mis en place par Casamemoire, a savoir la formation des médiateurs pour la sensibilisation du patrimoine. Il faut noter, que le point fort de cette stratégie, réside sur l’accompagnement et sensibilisation un grand public à la découverte du patrimoine architectural et urbain de la ville de Casablanca à travers des visites guidées.
Cet approche à permis de changer la perception du patrimoine au près des autorités et des habitants de la ville de Casablanca. Elle permet non seulement d’avoir une nouvelle vision du patrimoine, mais aussi une nouvelle façon d’intervenir dans sa gestion.
Il faut attendre, dans ce sens , une sensibilisation dans tous les secteurs de la ville, en commençant par les premiers concernés à savoir les décideurs et autorités qui sont en charge de l’application des plans de gestion et de sauvegarde du patrimoine de la ville de Casablanca.
Avec Casamemoire, cet objectif a été atteint grâce à l’implication massive des élus et de différentes structures administratives et culturelles de la ville de Casablanca. Cette implication a donné ses fruits car elle a abouti une prise en charge et gestion particulière du patrimoine Casablancais.
Toujours dans le cadre de la gestion et préservation du patrimoine à Casablanca, on peut oublier une démarche très importante qui est l’implication de la population.
Bénévolat et participation du grand public à la préservation et valorisation du patrimoine:
“Une bonne gestion du patrimoine doit commencer par une gestion individuelle d’abord”
Il s’agit ici, d’une démarche participative à travers l’implication de toutes les composantes de la ville sans distinction (Citoyens marocains et étrangers résidents à Casablanca).
Mon travail de chef de projet à Casamemoire consistait à coordonner les programmes de formation destinés aux personnes souhaitant découvrir et/ou redécouvrir la ville de Casablanca et son patrimoine Culturel Matériel et immatériel.
Cette démarche ne peut réussir sans l’encouragement et l’initiation au bénévolat. C’est pour cela qu’avec Casamemoire, un accent sera mis sur le rôle essentiel des Guides-médiateurs bénévoles. Ce statut permet à beaucoup de volontaires Casablancais de pouvoir apporter leur soutien à la valorisation du patrimoine de Casablanca sans distinction de statut social ou de nationalité. A ce jour, on peut noter plus de 350 guides formés par année avec Casamemoire. Voir la page facebook de Casamemoire et des Journées du Patrimoine.
L’originalité et l’efficacité de cette démarche résulte sur le fait que, ce sont ces mêmes guides-médiateurs formés sur l’histoire et l’architecture de Casablanca qui deviennent de véritables ambassadeurs de leur ville et gardien de leur patrimoine. Ils sont ces centaines de guides-médiateurs bénévoles qui font visiter Casablanca à tout public tout au long de l’année mais aussi pendant les journées du patrimoine de Casablanca qui est la plus grande manifestation sur la valorisation du patrimoine à Casablanca (22.000 visiteurs par an). Casablanca par le biais de Casamemoire est devenu un exemple pour toutes les autres villes du Maroc en matière de gestion et de valorisation du patrimoine. Autre fois, simple lieu d’escale pour les touristes, Casablanca est devenu une véritable destination touristique en même temps que toutes les autres villes du Maroc.
Implication du jeune public et du milieu scolaire
La sauvegarde est la valorisation du patrimoine suppose l’implication du jeune public. Car qui dit jeune public dit avenir, et qui dit avenir parle relève et citoyens de demain.
Ma formation en sociologie, m’a permis de conclure qu’on ne peut parler de patrimoine sans cogiter sur comment le transmettre aux générations futures. C’est pour cela, que durant toute la durée de mon parcours professionnel, j’ai essayé de mettre en avant mon expérience de médiateur culturel. C’est avec cette médiation, que l’on a pu développer au sein de Casamemoire un volet spéciale pour enfant : Les enfants du patrimoine et les guides juniors (jeunes guides bénévoles)
Ce volet a permis de sensibiliser un grand nombre d’enfants des établissements scolaires à venir découvrir leur ville autrement (chaque année, Ils sont plus 8000 élèves pendant les journées du patrimoine de Casablanca). Lors des ces découvertes, des jeunes guides font visiter le patrimoine de la ville a leurs collègues et leurs parents.
Implication personnelle et Médiation culturelle
La valorisation et la sauvegarde du patrimoine nécessite une implication personnelle, quelque soit notre nationalité, notre appartenance culturelle ou religieux.
En tant que, diplômé en ingénierie culturelle et médiation, à mon sens, l’approche du patrimoine doit prendre en charge une dimension universelle et participative. C’est ce qui explique sans doute, ma passion pour le patrimoine de la ville de Casablanca. C’est cette même passion que j’ai essayé de partager avec différents publics casablancais et visiteurs à Casablanca.
Au cours de mes différents travaux personnels ou professionnels, j’ai approché différents publics. Notamment le public empêché ou public des quartiers dits populaires qui ne sont pas forcement habitants sur les sites patrimoniaux. L’objectif de ma démarche étant de permettre à ce public de visiter les zones patrimoniales et surtout de les accompagner à une prise de conscience de la valeur du patrimoine et la préservation de leur ville. Cette approche vise à cultiver la citoyenneté et développer le bénévolat chez les jeunes des milieux défavorisés.
Il s’agit la d’une démarche qui s’inscrit dans le cadre de ce qu’on appelle la gestion participative du patrimoine. Elle consiste à sensibiliser les jeunes à s’impliquer dans la gestion de leur quartier, de leur ville et de leur pays. Cette approche permettra dans le long terme à la mise en place de ce que l’on pourrait appeler Les musées de quartiers (comme le soulignait professeur Zhor Rhihil conservatrice du Musée du Judaïsme Marocain à la fondation de la culture Judéo-marocain). Car il faut reconnaitre que dans des villes comme Casablanca dotées de plusieurs centres histoires et patrimoniaux, la meilleurs solution serait la mise en place de musées destinés à la sauvegarde de la mémoire collectives des quartiers.
L’implication de la jeunesse surtout le milieu scolaire est indispensable à la valorisation du patrimoine. Ainsi, après le départ de mon poste de chef de projet à casamemoire, je me suis lancé dans l’entreprenariat afin d’œuvrer dans le bénévolat et le patrimoine culturel. Pour cela, j’ai crée mon projet : Patrimonium: Les ateliers Ville et Patrimoine destinées aux enfants et au milieu scolaire afin de les sensibiliser à la notion de patrimoine et ceux en mettant a disposition des ateliers et séances créatives, interactives et ludiques tout en simplifiant les notions de patrimoine, d’architecture et enjeux de la ville.
Les Ateliers Ville et Patrimoine sont des séances et des activités qui permettent l’ouverture des jeunes vers le milieu extérieur, la connaissance, la découverte et le respect de son environnement. L’objectif est de permettre aux jeunes d’observer leur environnement extérieur, comparer les monuments et places de son milieu, leur fonction et utilité. Mais surtout d’attirer l’attention sur le patrimoine local matériel et immatériel, sa valeur, la nécessité de sa préservation et sa valorisation. Le cycle de travaux pratiques attire l’attention des jeunes sur leur rôle de citoyen en devenir et acteur de la vie de tous les jours.
Ces ateliers ont eu un succès auprès des élèves et ont permis aux enseignants d’intégrer dans leur programme scolaire, les questions liées à la géographie: la ville et ses interactions et à l’histoire et le patrimoine notamment, celui de Casablanca.
Avec cette proposition, on assiste à une grande redécouverte de Casablanca et la réappropriation de la ville par ses Habitants jeunes et adultes.
Rencontres et échanges pour un patrimoine collectif
Dans une ville comme Casablanca dont le patrimoine qui est souvent méconnu, il faut encourager le dialogue et les échanges au tour de tables-rondes. Cette initiative permet à tous les acteurs de la ville de venir apporter leur connaissance et savoir-faire en matière de valorisation et sauvegarde du patrimoine.
On peut dans ce sens, noter des initiatives et projets mise en place par des structures œuvrant dans le secteur de la mémoire collective et du patrimoine de la ville. Je citerai à titre d’exemple: L’Atelier de l’Observatoire qui a mis en place des journées de concertation dans le cadre de son projet Le “Musée collectif de Casablanca” dont j’étais en charge de la modération. Il s’agit la, d’un projet original qui rejoint celui que j’ai cité plus haut les musées de quartier. Ce projet va non seulement de permettre une gestion participative du patrimoine, mais aussi de proposer une nouvelle façon d’appréhender la question du patrimoine dans des villes modernes ou chaque citoyen à son rôle à jouer.
Partenariat et collaboration avec la société civile, les établissements scolaires et universitaires
Il faut en revanche, ajouter à différentes stratégies précitées, la dimension du partenariat avec la société civile. La collaboration avec différentes structures associatives et universitaires permet de rentre effective la gestion du patrimoine. On peut le constater à Casablanca, lors des journées du patrimoine ou lors des différentes manifestations et projets en relation avec le patrimoine. Cette collaboration se manifeste dans tous les niveaux de la ville (Transports, ateliers pédagogiques, sécurité, manifestation culturelle…etc.). IL faut ajouter à cette collaboration, le travail qu’il faut mettre en place avec les universitaires et les écoles d’architecture, d’urbanisme et paysagisme. Cette collaboration peut se faire à travers des workshops, des séminaires, des sujets de recherche….etc.
A titre d’exemple, je pourrai citer un projet dont je suis médiateur et intervenant : le projet Fabrique du Lac initié par l’institut français de Casablanca en partenariat avec le collectif Bruit du Frigo et de l’école d’architecture de bordeaux. Un projet avec une dimension participatif dans tous les volets. Il s’agit d’aménagement des espaces urbains à Casablanca, au quartier el Firdaous et de proposer des installations suite à un dialogue et concertation avec les habitants. Ici la dimension du patrimoine naturel de l’étang est prise en charge et au centre des préoccupations du projet Fabrique du Lac.
Aujourd’hui, la question du patrimoine et de sa valorisation est au cœur des préoccupations de tous les secteurs de la ville de Casablanca. Ceci se manifeste par la création des structres dotés de moyens pour passer à la phase de l’après sensibilisation, la sauvegarde et la restauration. On peut citer Casapatrimoine (société de développement local) et même l’agence urbaine qui viennent en appui aux initiatives et projets de sensibilisation et de valorisation du patrimoine.
Pour conclure, je partirai de mon expérience sur terrain et de mon cursus en sociologie, ingénierie culturel et en Tourisme et patrimoine culturel pour avancer une réflexion qui consiste à dire que, pour une meilleure gestion du patrimoine que ce soit à Casablanca où ailleurs, il faut prendre en considération les dimensions suivantes:
- La sensibilisation et la valorisation du patrimoine en question
- Le bénévolat et la formation de la population
- L’implication du jeune public et l’initiation à la citoyenneté
- La gestion participative et collective du patrimoine
Permettre donc à tout un chacun de participer à la gestion de son patrimoine à travers une gestion participative et collective du patrimoine. Il faut mettre en avant la concertation avec les populations concernées tout au long du processus de la gestion du patrimoine.
Tout ceci est pour dire, que le patrimoine est une donnée sociologique, qui ne peut être gérer efficacement que par la prise en charge de la dimension humaine et sociologique.
Par conséquent, une meilleurs gestion du patrimoine doit impliquer la population et les différents publics en amont et en avale de sa stratégie. La gestion du patrimoine doit se faire par et avec les habitants d’une ville ou d’une localité donnée. C’est sur ce constat, que les futurs programmes de sauvegarde du patrimoine doivent s’appuyer pour proposer des solutions et réponses idoines pour le patrimoine Marocain.
Diplômé d’une maitrise en sociologie à l’université de Nouakchott-Mauritanie, un master en ingénierie culturelle et artistique et d’une licence professionnelle en tourisme et patrimoine culturel à l’université Hassan II – Casablanca Maroc.
Médiateur culturel dans plusieurs projets à Casablanca, fondateur des Ateliers Ville et patrimoine et chercheur en patrimoine et tourisme.
Membre et bénévole de l’association Casamemoire.
Chef de projet Africa Art Lines : fonds Marocain pour la mobilité artistique en Afrique par l’association Afrikayna pour l’échange interculturel, le développement et la coopération en Afrique.